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d’oseille liquide, qui me parut le dernier mot de l’arlequin. Cinq ou six bouteilles de vin, à peu près vides, étaient rangées sur la table, devant Lechat qui, de temps en temps, les égouttait dans mon verre, en ayant soin, chaque fois, de déclarer qu’il ne « débouchait » le vin fin que le dimanche et seulement, en semaine, quand il avait du monde.

Abasourdi par ce que, depuis une heure, je voyais et entendais, je ne savais, en vérité quelle contenance me donner. Devant ces deux pauvres êtres, égarés dans les millions par une inquiétante ironie de la vie, une grande mélancolie m’envahissait, et, en même temps, la puanteur de la richesse malfaisante et sordide me soulevait le cœur de dégoût. À cela venait s’ajouter l’amer sentiment de l’inanité de la justice humaine, de l’inanité du progrès et des révolutions sociales qui avaient pour aboutissement : Lechat et les quinze millions de Lechat ! Ainsi, c’était pour permettre à Lechat de se