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défaillance, à toutes heures, pour procurer à sa famille la maigre nourriture de chaque jour, me paraît plus grand que le plus glorieux des capitaines qui ne compte plus les batailles gagnées ! Et, comme je préfère contempler un paysan qui, le dos courbé et les mains calleuses, pousse la charrue, péniblement, dans le sillon de la terre nourricière, plutôt que de voir défiler des généraux au costume éclatant, à la poitrine couverte de croix ! C’est que le premier symbolise tous les sacrifices inconnus et toutes les vertus obscures de la vie féconde, tandis que les autres ne me rappellent que les tristesses stériles et les deuils inutiles dont ils ont semé le sol des patries vaincues.

Pourquoi le Droit et pourquoi la Justice, si la Guerre est là, qui commande, la Guerre, négation du Droit, négation de la Justice ? Qu’on raie ces deux mots des langages humains qui ne les comprennent pas, et qu’on arrache, au fronton des sociétés contemporaines, ces deux emblèmes qui toujours ont menti.