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trente femmes et trente hommes… Avez-vous compté combien, dans ces trente feux, il y a d’enfants vivants ?… Il y en a trois… Et les autres, et les étouffés, et les étranglés, et les enterrés, les morts enfin ?… les avez-vous comptés ?… Allez retourner la terre, là-bas, à l’ombre maigre des bouleaux, au pied frêle des pins ; sondez les puits, remuez les cailloux, éparpillez au vent les sables des carrières ; et dans la terre, sous les bouleaux et les pins, au fond des puits, parmi les cailloux et le sable, vous verrez plus d’ossements de nouveau-nés qu’il n’y a d’ossements d’hommes et de femmes dans les cimetières des grandes villes… Allez dans toutes les maisons, et demandez aux hommes, les jeunes et les vieux, demandez-leur ce qu’ils ont fait des enfants que leurs femmes portèrent !… Interrogez Maheu, Léger, Sorel, et tous, tous !… Eh bien ! Maheu, tu vois qu’il n’y a pas que les chevreuils qui bêlent quand on les tue… »