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ses déceptions passées. Il était impitoyable en ses plaisanteries. Celle qu’il jugeait la meilleure consistait à tâter le front du « moustachu », et à lui dire : « Quoi donc qu’ t’as là, mon gars ? On dirait qu’y t’pousse queuque chose. » Et l’infortuné Béhu, pris, chaque fois, à la farce du beau-père, portait machinalement les mains à son front, rougissait, roulait des yeux doux et résignés comme ceux des bœufs, tandis que le bonhomme, se tordant de rire, répétait : « Quoi donc qui y pousse ? quoi donc qui y pousse ? » Cette gaîté intermittente ne modifia en rien son caractère, qui s’affirmait de plus en plus tracassier et despotique.

Un matin, le père Dugué se réveilla avec la tête lourde et de fortes douleurs au ventre. Il se leva néanmoins, et, tout en geignant un peu, vaqua à ses occupations coutumières. Mais ses pauvres bras, mous comme des chiffes, refusaient de lui obéir, ses jambes tremblaient pareilles à des roseaux battus du vent, et puis, un grand froid