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Plus je marche, plus se rétrécissent les murs, plus les nuages se condensent et descendent, descendent jusqu’à me toucher le crâne, comme un plafond trop bas … Et ma respiration s’accourcit, mes jarrets fléchissent et refusent de me porter, mes oreilles bourdonnent… Je demande au guide :

— Pourquoi y a-t-il tant de grillons ici ?… Ils m’agacent… On ne peut donc pas les faire taire ?

Et le guide me répond : — Il n’y a pas de grillons… C’est le sang de Monsieur qui chante !…

Et c’est vrai… Ce qui chante ainsi, autour de moi, c’est mon grillon, l’affreux grillon de la fièvre… Oui, je le reconnais, maintenant…

— Mais tais-toi donc… vilaine bête !

Et il chante plus fort… il m’emplit les oreilles de son bourdonnement grêle, qui se multiplie, à chaque effort que je fais…

La phobie et la fièvre !… Allons, c’est complet.

Puisque Triceps m’a dit de marcher, je marche encore…

L’étroite vallée devient un couloir, et le couloir une fente dans de la pierre… Pendant des heures et des heures, sur ma droite, c’est une muraille suintante, glaciale, et si haute que je n’en vois pas la fin ; un petit torrent ronchonne à ma gauche… Il est agaçant, ce petit torrent… je crois entendre un vieillard toussotant et grincheux… Ah ! voici un pont, enfin… Cela va peut-être changer… Je traverse le pont… cela change,