Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/51

Cette page n’a pas encore été corrigée

à un papillon invisible, court, tourne, pointe en avant et revient, fauchant l’air de ses bras. Puis il tombe haletant, épuisé, en sueur, au pied d’un arbre.

Triceps sourit et hausse les épaules :

— Bast ! … Il n’est peut-être pas plus fou – il l’est peut-être moins, qui sait ? – que les autres poètes, les poètes en liberté qui prétendent avoir des jardins dans leur âme, des avenues dans leur intellect, qui comparent les chevelures de leurs chimériques maîtresses à des mâtures de navires … et qu’on décore, et auxquels on élève des statues… Enfin !…

Mais la vie de ces pauvres êtres m’est trop douloureuse. Je prie Triceps de m’arracher à ce spectacle horrible… Nous traversons des cours et des cours et des cloîtres tout blancs, et nous arrivons sur une sorte de terrasse où poussent quelques maigres fleurs, où deux cerisiers s’étiolent sous leurs longues larmes de gomme. De là, on découvre tout le tragique paysage de murs noirs, de fenêtres louches, de jours grillés, de verdures grisâtres, tout ce paysage d’effroi social, de lamentations et de tortures, dans lequel on sent une pauvre humanité enchaînée souffrir, râler, mourir… Le cœur serré, une angoisse m’agrippant à la gorge, je reste silencieux avec la sensation sur toute ma personne de quelque chose d’inexprimablement lourd, d’intolérablement dément.

Alors, tout petit, bouffon, avec sa calotte de velours