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voyais dans son pelage hérissé que la pointe de son museau qui remuait, et son œil noir, où la vie semblait chavirer, sous un grand vent d’effroi.

— Dis-moi que tu es Jean ?… répétai-je… Jean… Jean… Jean !…

J’approchai le lièvre plus près encore de la lanterne.

— Que je te voie… que je te voie mourir !… Jean… Jean… Car tu es bien Jean, dis ?… Je te reconnais. Tu es Jean… Que je te voie mourir !

Et j’empoignai le lièvre sous la gorge :

— Ah ! ah !… Il y a longtemps que je veux te faire souffrir… il y a longtemps que je veux te faire mourir… Car tu es Jean… tu es son âme, son âme que je hais… que je hais…

Et je serrai le lièvre sous la gorge.

La tête de l’animal sembla grossir démesurément… Son œil jaillit de l’orbite… Il essaya de me déchirer la main avec ses pattes… longtemps il se débattit sous mes doigts… Et à mesure que sa vie s’éteignait, que ses mouvements devenaient plus faibles, je criais :

— Ah ! enfin ! Je te tiens… Jean. J’ai ta vie misérable… Tu ne me feras plus souffrir… Et jamais plus personne ne t’aimera… jamais plus…

Des frissons de volupté me couraient par tout le corps… Véritablement je crus défaillir, inondé par un flot brusque de joie trop forte… Quand le petit lièvre fut mort, je le rejetai dans le clapier, fermai le grillage et rentrai dans l’écurie