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Vous voyez bien que mon ami Triceps n’est pas tout à fait une brute.


Brave Triceps !

Ah ! ce voyage que je fis à X… pour des affaires de famille ! Comme il y a longtemps déjà ! Mes affaires réglées, je me souvins que j’avais un ami interne à l’asile des aliénés, et que cet ami n’était autre que Triceps. Je résolus de lui rendre visite. Il faisait un temps de chien, ce jour-là… L’air était glacé ; des rafales furieuses de nord-ouest me cinglaient terriblement le visage. Au lieu de m’échouer dans un café, je hélai un fiacre et me fis conduire à l’asile.

Le fiacre avait traversé les quartiers commerçants et les faubourgs populeux. Il roulait dans des banlieues mornes où, tout d’un coup, entre des terrains vagues, enclos de palissades goudronnées, surgissaient d’énormes et noirs bâtiments, hôpitaux, casernes et prisons, ceux-ci sommés de croix branlant au vent, ceux-là surélevés de lourds campaniles, autour desquels des corneilles à bec jaune croassaient sinistrement. Puis il s’engageait entre de hauts murs enfumés, de la pierre triste, épaisse, étouffante, percée çà et là de petits carrés vitreux, barrés de fer, et derrière laquelle l’on sentait de la souffrance, de la damnation et de la mort. Enfin, devant une porte en forme de voûte, peinte de gris sale et ferrée de gros clous à tête quadrangulaire, il s’arrêtait.