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— Beaucoup de haricots, et un peu de salade… répondit le gardien…

Quelques jours après, elle était installée à Toulmanac’h… Ainsi se nommait la propriété…

En partant de Paris, Mme Lechanteur avait congédié ses domestiques, se disant qu’en Bretagne elle en aurait autant qu’elle voudrait, de tous les genres et à meilleur compte. Sur la foi de quelques historiographes, peu véridiques, elle avait émis cette vérité :

— Ce sont des gens fidèles, vertueux, désintéressés, qu’on paie très peu et qui ne mangent rien, des gens d’avant la Révolution… des perles !…

Cependant, au bout d’un mois, quel désenchantement !… Elle avait eu douze bonnes, cuisinières et femmes de chambre, qu’elle avait été forcée de renvoyer, à peine arrivée… Les unes volaient le sucre, le café ; les autres dérobaient le vin et s’ivrognaient comme des brutes… Celle-ci était plus insolente qu’une poissarde ; elle avait surpris celle-là avec le garçon de la ferme voisine… Et toutes exigeaient de la viande, du moins à un repas… De la viande, en Bretagne !… La dernière était partie volontairement, parce que, étant d’une congrégation, elle ne pouvait, sous peine de péché mortel, parler à un homme, même pour les besoins du service, cet homme fût-il le facteur, le boulanger ou le boucher. Et Mme Lechanteur se désolait… Obligée le plus souvent de faire sa cuisine,