Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/304

Cette page n’a pas encore été corrigée

Car le péché, c’est de la joie, de la soie, du parfum et des bouches fardées, et des yeux en délire, et des cheveux teints, et de la chair parée comme un autel, lavée comme un calice, peinte comme une idole. Et c’est aussi de la tristesse riche, du dégoût opulent, du mensonge somptueux, de l’ordure en or et en perles. Elle n’a rien de tel à m’offrir, la malheureuse. Vieille de misère plus que d’âge, flétrie par la faim ou les lourdes ivresses cuvées dans les bouges, déformée par l’effroyable labeur de son tragique métier, obligée, sous la menace du coup de couteau, de marcher, de marcher toujours, dans la nuit, vers le désir qui rôde et qui cherche, renvoyée du souteneur qui la dépouille au policier qui la rançonne, du garni à la prison, elle est douloureuse à voir. Un léger caraco de laine recouvre sa poitrine ; des jupons boueux lui battent aux jambes, un immense chapeau la coiffe, dont les plumes fondent sous la pluie ; et sur son ventre elle tient ses mains croisées, deux pauvres mains rougies de froid – oh ! pas obscènes – deux pauvres mains maladroites de froid et noueuses, que d’antiques mitaines gantent jusqu’aux doigts. N’étaient l’heure, le lieu, et l’accent de son appel, je la prendrais pour quelque servante sans place, et non pour une rôdeuse de trottoirs. Sans doute elle se méfie de sa laideur, elle a conscience du peu de volupté qu’offre son corps, car elle s’efface de plus en plus sous mon regard, elle interpose des ténèbres