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son travail, et, avec un sourire d’une ironie bienveillante, il me dit :

— Excusez-moi, monsieur, de vous avoir si impoliment réveillé… Mais ce n’est pas tout à fait de ma faute. Vous avez des meubles bien sensitifs, vraiment, et que l’approche de la plus légère pince-monseigneur fait aussitôt tomber en pâmoison…

Je vis alors que la pièce était toute bouleversée : des tiroirs ouverts et vidés, des vitrines fracturées, un petit secrétaire Empire, où je cache mes valeurs et mes bijoux de famille, piteusement renversé sur le tapis… Un vrai pillage enfin… Et, pendant que je faisais ces constatations, le trop matinal visiteur continuait, de sa voix bien timbrée :

— Oh ! ces meubles modernes… Comme ils ont l’âme fragile, n’est-ce pas ? Je crois qu’ils sont atteints, eux aussi, de la maladie du siècle, et qu’ils sont neurasthéniques, comme tout le monde…

Il eut un petit rire discret et charmant, qui ne me blessa pas et où se révélait, à tout prendre, un homme de la meilleure éducation. Je me décidai à intervenir.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? fis-je, en suivant d’un regard moins inquiet les manœuvres du nocturne visiteur, tandis qu’un courant d’air, produit par les portes ouvertes, agitait ridiculement les pans de ma chemise.