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les laissent pas tranquilles… ces bêtes ?… Tant pis pour eux…

Les exploits du marquis de Portpierre n’avaient pas tous ce caractère sinistre. Il savait aussi manier la farce et se servir de l’ironie. Le jour de l’ouverture de la chasse, chaque année, il envoyait, avant l’aube, ses gardes battre les chasses communes, voisines de sa terre, de telle sorte que le gibier effrayé se réfugiât dans ses remises et dans ses bois, où on le laissait bien tranquille, où on veillait sur lui, comme sur un ami, ce jour-là… Et les pauvre chasseurs de Norfleur, après s’être harassés toute la journée, dans les trèfles et dans les luzernes, après avoir arpenté et battu, motte à motte, sillon à sillon, roncier à roncier, guérets, chaumes et boqueteaux, rentraient le soir, chez eux, découragés, fourbus et bredouilles. Et ils gémissaient, en raccrochant au clou leur fusil vierge de poudre, et leur carnier vide :

— Mauvaise année… mauvaise année… Il n’y a rien… rien… rien…

Et comme, le lendemain, au marché, ils se désolaient de ce fâcheux état de choses devant le marquis, celui-ci, très sérieux, expliquait…

— Qu’est-ce que vous voulez ?… Avec cette saleté de Gouvernement… et cette vache de République… rien en m’étonne plus…

Une fois l’an, le marquis invitait les principaux bourgeois de Norfleur, qui s’en montraient très fiers,