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« Ayant fini de manger, il s’étendit sur le rebord du fossé, sa besace entre les jambes, et il s’endormit d’un sommeil tranquille et profond.

« Ce jour-là, Jean Loqueteux fut ramassé par des gendarmes en patrouille sur la route où il s’était endormi, rêvant, sans doute, de palais merveilleux et d’opulentes tables, chargées de victuailles et de pain blanc. Et comme il n’avait point de papiers, comme ses propos attestaient une incohérence inhabituelle à ce genre de va-nu-pieds, les gendarmes le traitèrent d’ivrogne, le jugèrent dangereux, assassin peut-être, et sûrement incendiaire, et, finalement, l’emmenèrent à la ville, où il fut jeté au poste, brutalement, en attendant mieux. Après avoir subi divers interrogatoires, et de méticuleuses enquêtes sur son passé, il fut conduit en prison, où il tomba malade, et, de là, à l’hospice, où il faillit mourir. Sa santé revenue, le médecin établit, dans une consultation savante, le dérangement des facultés mentales du pauvre diable, et conclut à son admission immédiate dans une maison de fous. Jean Loqueteux resta doux et poli, tenta de se disculper, du mieux qu’il put, en parlant de ses dix millions, en termes modestes et choisis, offrit de consacrer une grosse somme à une œuvre de bienfaisance. On ne l’écouta pas, et même on le fit taire avec plus de rudesse qu’il n’eût convenu, et, un matin, les lourdes portes de l’asile se refermèrent sur lui.

« Dans sa nouvelle carrière de fou – de fou officiel –