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Maintenant qu’il était libre, il était visible que cela ne le désobligeait pas autrement, d’avoir été au bagne. Au contraire, il semblait en tirer de l’orgueil et s’y élire une personnalité. Comme des baigneurs passaient auprès de nous, M. Rouffat, avec une grosse voix et des manières ostentatoires, dit, de façon à être entendu d’eux :

— Oui, monsieur, je suis la victime d’une erreur judiciaire. Et j’ai vécu – vécu ? – au bagne sept ans !… C’est à ne pas croire…

Alors Triceps me demanda :

— Est-ce que tu rentres à l’hôtel ?

— Oui…

— Eh bien, allons-y ensemble… M. Rouffat va te conter son histoire… Elle est épatante, mon vieux… Un fameux sujet, pour un article…

À l’hôtel, je fis monter du porto et des sandwiches… Et, après s’être légèrement réconforté, M. Rouffat commença ainsi :


« Un matin, comme je faisais ma promenade habituelle sur la route des Trois-Fétus, je remarquai, non sans surprise, à quelques centaines de mètres de moi, sur la berge, un groupe de paysans, parmi lesquels se démenait un gendarme et gesticulaient trois messieurs vêtus de redingotes noires et sévèrement coiffés de chapeaux de haute forme. Tout ce monde se tenait en rond, le cou tendu, la tête penchée vers quelque chose que je ne voyais pas. Une voiture, sorte de landau de louage,