Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le petit vicomte ! Non !… non, c’est trop bête…

» – Monsieur le directeur !…

» – Non…

» – Monsieur le directeur, écoutez-moi, supplia le vieux figurant, qui s’était levé, lui aussi, et tendait vers son directeur des bras rythmiques… Je vous fais juge de ma situation, monsieur le directeur, je remets entre vos mains mon honneur professionnel… Mais écoutez-moi, au nom du ciel… Il faut que je vous confie ça… Le petit vicomte, il y a plus de dix ans que je l’étudie, que je le compose, que je le vis, chez moi, en cachette, tous les soirs… ce rôle n’a que dix lignes… Mais il est admirable, et j’ai trouvé des effets, des effets !… Ah ! si vous vouliez !… Ce serait le couronnement de ma carrière. Le public verrait là un des côtés inconnus de mon talent… Monsieur le directeur, laissez-moi jouer le petit vicomte…

» – Non… non… et non !… Est-ce clair ?

» – Monsieur le directeur, je vous en supplie !…

» – Non, vous dis-je !… C’est inutile…

» – Monsieur le directeur, j’abandonnerais plutôt mes deux cents francs…

» – Ah ! fichez-moi la paix, père Plançon… vous me rasez, à la fin… Allons, ouste, ouste !…

« Et, brutalement, il le congédia.

« Le père Plançon était infiniment malheureux. Chaque jour, il venait au théâtre, rôdait sur la scène et dans les couloirs, inquiet, silencieux, hamlétique,