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« Et le directeur se frappait la poitrine, violemment, à la place du cœur.

« Mais, en dépit de ces souvenirs glorieux, le père Plançon était devenu tout triste. Il n’avait pas prévu qu’un jour viendrait où il serait obligé d’abandonner le théâtre, comme il avait abandonné les perruques. Et cette idée le bouleversait, non point à cause de la misère noire où il allait entrer désormais, mais parce que le théâtre était sa vraie vie, et qu’au-delà du théâtre il ne voyait nul horizon, il ne voyait que ténèbres et mort. Il bégaya, atterré par les paroles de son directeur, mais avec des gestes scéniques et conformes à la situation :

» – Alors… le mois prochain ? Rêvé-je ?… Déjà !…

» – Comment, déjà ?… Après quarante-deux ans de travail, de bons et loyaux services, vous appelez ça déjà ? Voyons, voyons, mon père Plançon… vous aurez deux cents francs sur la représentation… deux cents francs… Ah ! ah ! c’est gentil, ça ?… Et puis, après, bonsoir les amis… la liberté, le repos, la campagne… Vous irez planter vos choux.

« Et gaiement :

» – En a-t-il de la veine, ce sacré père Plançon !… Et dans Gloire et Patrie, encore… c’est-à-dire le triomphe… Disparaître dans le triomphe, avec deux cents balles… Et il n’a pas l’air content !… Mais qu’est-ce qu’il vous faut, nom d’un chien ?