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— Combien faut-il de peaux de nègres, général, pour tendre une pièce comme celle-là ?

— Cent neuf, à peu près, l’une dans l’autre… la population d’un petit hameau. Mais tout n’est pas utilisé, pensez bien… Il y a, dans ces peaux, principalement dans les peaux de femme, des parties plus fines, plus souples, avec quoi l’on peut fabriquer de la maroquinerie d’art… des bibelots de luxe… des porte-monnaie, par exemple… des valises et des nécessaires de voyage… et même des gants… des gants pour deuil… Ha ! ha ! ha !

Je crus devoir rire, moi aussi, bien que ma gorge serrée protestât contre ce genre de gaieté anthropophagique et coloniale.

Après une inspection détaillée, nous reprîmes position sur nos fourrures respectives, et le général, sollicité par moi à des déclarations plus précises, parla ainsi :

— Quoique je n’aime guère les journaux, d’abord, et ensuite les journalistes, je ne suis pas fâché que vous soyez venu… parce que vous allez donner à mon système de colonisation un retentissement considérable… Voici, en deux mots, la chose… Moi, vous savez, je ne fais pas de phrases, ni de circonlocutions… Je vais droit au but… Attention !… Je ne connais qu’un moyen de civiliser les gens, c’est de les tuer… Quel que soit le régime auquel on soumette les peuples conquis… protection, annexion, etc, etc… on en a toujours des