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L’Amante

Que vous importe de heurter, à toutes les minutes, mes sentiments, mes délicatesses ?… Vous m’aimez !… Hé ! mon Dieu ! le beau trait de courage !… On dirait vraiment, à vous entendre, qu’il faut de l’héroïsme pour aimer une femme jeune, belle, riche, recherchée !… Et vous vous croyez quitte envers elle qui vous a tout sacrifié… Vous m’aimez ?… Soit… mais vous êtes-vous jamais préoccupé de me rendre heureuse ?… M’avez-vous, ne fût-ce qu’une minute, donné votre vie tout entière, à moi qui vous ai donné plus que ma vie, ma réputation, mon honneur ; avez-vous pris soin de m’éviter, en homme qui sait ce que c’est que la pudeur d’une femme et le respect d’un foyer, les froissements inséparables de notre situation ? J’ai flatté votre orgueil, et vous m’avez affichée…

L’Amant

Oh ! oh ! oh !

L’Amante

Vous ne m’avez peut-être pas affichée ?

L’Amant

Soyez juste… Rappelez-vous… Combien de fois, au contraire, n’ai-je pas été obligé de calmer vos audaces, d’arrêter vos élans, de vous montrer les dangers de vos généreuses imprudences…