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les partis : la routine, la médiocrité, l’injustice et le mensonge.

Si gendelettre que je sois, je n’allais tout de même pas jusqu’à m’imaginer que l’univers fût en deuil de mon silence, et que je manquais au bonheur du peuple et des peuples. Mais j’étais très humilié.

Humilié ?… Ou bien orgueilleux ?… Ma foi, je ne le sais plus bien.

Ce que je sais, c’est que, pour ne pas trop m’attendrir sur moi-même, je goûtais des joies amères à me répéter souvent que je n’étais pas le seul ainsi, qu’il y avait bien d’autres voix que la mienne, et plus chères, parmi toutes « les voix qui se sont tues ». Mais cela ne me consolait pas.

Cela ne me consolait pas, car les mois passaient et passaient les années, des journaux mouraient, d’autres naissaient qui mouraient encore et M. François de Nion continuait d’exalter les penseurs, M. Maizeroy les guerriers et les amants, M. Abel Bonnard le vague à l’âme des dames riches ; et M. Fernand Nozière, « délicieux écrivain », dont Mme Liane de Pougy célébra récemment les diverses vertus, en des vers d’un lyrisme un peu familier, mais touchant, continuait de communier imperturbablement, ici et là, sous les espèces littéraires de Voltaire, de Laclos, de Renan, d’Anatole France et du devin Andréa de Nerciat… Ah ! comme je les enviais !