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Le poitrinaire

Si… Tu vois que je suis pâle… Donne-moi ton miroir…

La mère

Je ne l’ai pas… Je l’ai laissé dans ta chambre.

Le poitrinaire

Donne-moi ton miroir…

La mère

Je te le donnerai dans ta chambre…

Le poitrinaire

Ah ! tu vois bien !… Tu me crois pâle… Donne-moi ton miroir…

La mère (lui présentant un petit miroir)

Méchant enfant !… (avec un faux sourire). Tu es donc si coquet !…

Le poitrinaire (Il examine longtemps ses yeux caves, voilés d’ombres lointaines, ses pommettes saillantes, ses joues évidées, sa bouche entrouverte, qui n’est plus qu’une barre d’ombre violacée, et les deux roses funéraires que la mort a déjà mises sur son visage, au-dessous des paupières creuses).

Plus près !… plus haut !… mais je ne suis pas pâle… Mais je ne suis pas maigre… Mais je ne suis pas malade !… (La mère se détourne un peu et vivement essuie une larme)… J’aurais cru que j’étais moins bien, vraiment !… Je suis content !… Mère, il faudra envoyer des fleurs pour la pauvre petite qui est morte…


OCTAVE MIRBEAU.