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XII

Quand la raison me revint, le meurtre de Spy me parut une action monstrueuse, et j’en eus horreur, comme si j’avais assassiné un enfant. De toutes les lâchetés commises, je jugeai celle-là la plus lâche et la plus odieuse !… Tuer Juliette !… C’eût été un crime, assurément, mais peut-être était-il possible de trouver, dans la révolte de mes souffrances, sinon une excuse, du moins une explication à ce crime… Tuer Spy !… Un chien… une pauvre bête inoffensive !… Pourquoi ?… Ah ! oui, pourquoi ? … À moins d’être une brute, d’avoir en soi l’instinct sauvage et irrésistible du meurtre !… Pendant la guerre, j’avais tué un homme, bon, jeune et fort ; je l’avais tué au moment précis où, les yeux charmés, le cœur ému, il s’attendrissait à regarder le soleil levant !… Je l’avais tué, caché derrière un arbre, protégé par l’ombre, lâchement !… C’était un Prus-