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rouges, et qui ne semblaient guère catholiques…

De tous les habitants du village et des villages circonvoisins, seul, le petit bossu osait s’aventurer jusque-là. Et c’était juste, après tout. Car sa figure et son corps de gnome complétaient admirablement le paysage… Ils étaient faits l’un pour l’autre. Pourquoi et comment eût-il mieux aimé les belles prairies fleuries et les allées mystérieuses de la forêt, et le resplendissement des champs sous le soleil, et la vie mouvante, chantante, toute de reflets et de frissons, de la rivière ? Sa laideur et sa difformité en eussent été décuplées ; tandis que, dans l’horreur de ce lieu, il s’harmonisait le mieux du monde aux bosses de la pierre, aux chétivités de l’herbe, aux surfaces immobiles et sans reflets des eaux mortuaires…

La vérité est que, vannier habile, le petit bossu, trouvant l’osier excellent, venait faire sa récolte de beaux brins fins et flexibles qu’il savait, avec une adresse incomparable, transformer en jolies corbeilles, en paniers de toutes les formes, qu’il vendait aux marchés des environs. Mais, si simple qu’elle fût, l’explication de ces promenades n’était pas suffisante pour l’esprit de gens hantés sans cesse par l’idée du surnaturel. D’ailleurs, dans ma haine de ce monstre, j’avais contribué à faire croire qu’il