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qui se plaignait toujours du mal que lui causait l’administration de ses biens. M. Latête l’avait du premier coup d’œil jugé faible de caractère et malade.

— Pourquoi ne mettez-vous pas votre fortune en viager ? lui dit-il un jour… Vous doubleriez vos revenus, et vous n’auriez aucun tracas…

Mais le brave homme se récria :

— En viager !… Ah ! bien, merci !… Ah ! mais non !… Je ne dors pas si bien ! On ne sait jamais à qui l’on cède sa fortune… Je ne serais plus tranquille… j’aurais peur !… Non, non !… Il y a tant de gens qui assassinent, aujourd’hui !… et des anarchistes !…

— Sans doute ! approuva le pharmacien… Et je ne vous conseillerais pas de faire l’affaire avec le premier venu… Diable ! c’est délicat, ces choses-là !… Mais vous trouveriez quelqu’un de tout repos, un homme sérieux, quoi !… Un brave homme ; il n’en manquera pas, Dieu merci ! avec les lois nouvelles. Ça vous soulagerait joliment, allez !… Plus de responsabilités, de tentations, de convoitises autour de vous !… La liberté absolue, la tranquillité complète !… Un vrai paradis !… Vous pourriez enfin jouir de la vie !… Et puis, vous savez, de cette manière, un sou vaut deux sous, un franc deux francs, mille francs deux