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magasin, fit de fastueuses emplettes, et rentra chez lui, en proie à une agitation insolite. Cette nuit-là, il ne dormit point. Le lendemain, au petit jour, il s’achemina, muni de gaules, de lignes, d’épuisettes, les poches bourrées de boîtes, de trousses, il s’achemina vers la Seine, qu’il longea jusqu’à Meudon. À Meudon, il choisit une place où l’eau lui sembla profonde, où l’herbe était douce. En préparant sa ligne, suivant les indications qu’on lui avait données au magasin, il se disait : « Voyons !… Voyons !… Je n’en prendrai donc jamais ! » Puis il lança sa ligne à l’eau…

Le matin était en fête, l’eau chantait doucement sur la rive, dans une touffe de roseaux. Sur la berge, des promeneurs flânaient et cueillaient des fleurs.

M. Isidore Buche suivait, sur la surface tranquille du fleuve, le bouchon rouge et bleu. Il avait les lèvres serrées, le cœur mordu par l’angoisse. Quelque chose de dur et de brûlant enserrait son crâne, classiquement couvert d’un large chapeau de paille.

Tout à coup, le bouchon frissonna, et, autour du bouchon, de petites rides apparurent sur l’eau, s’élargirent…

— Oh ! oh ! fit M. Isidore Buche, très rouge…

Le bouchon glissa plus fort sur l’eau, et disparut dans un léger bouillonnement.