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dait, la vieille toute nue, elle me regardait obstinément, et ses yeux, bien qu’il me fût impossible de percevoir le moindre mouvement des prunelles, le plus léger glissement des paupières, ses yeux s’élargissaient, toujours fixés sur moi, sans remuer. Ils s’effaraient, passaient de l’effroi à la colère, de la colère à la supplication, de la supplication à la honte, exprimaient, dans une même seconde, mille pensées contraires et violentes, sans remuer. Non seulement, ils ne remuaient pas, mais encore, à mesure que je les regardais, à mesure que se succédaient en eux les plus intenses, les plus bizarres, les plus anormales impressions, ils se pétrifiaient davantage, inexorablement. Au-dessous, ses lèvres rejointes s’enfonçaient dans la bouche, moulant les mâchoires édentées.

Tout à coup, le cercle des paupières s’humidifia ; une nappe plus brillante couvrit la convexité vitreuse des prunelles, et deux larmes, en même temps grossies, roulèrent sur ses joues, et rebondirent, légères et chaudes, sur la nudité insensible de ce corps supplicié. Elle pleura, longtemps, sans bouger. Et il n’y avait de vivant en elle que ces larmes qui versaient, goutte à goutte, sur le viol brutal de sa pudeur, les souffrances infinies de son âme inviolée.