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Nous flairions une mystification, comme les paysans, en état de gaieté, aiment parfois à en inventer. Pourtant ces paroles, ces précautions du père Lormeau nous intriguaient un peu.

— C’est-y comme ça ? répéta le fermier.

L’un de nous l’assura qu’il pouvait compter sur notre discrétion.

— Eh ben ! dans ce cas, vous allez voir une chose ben drôle ! Je ne vous dis que ça !

Il se dirigea vers la pipe du milieu, la plus grosse, la plus large de toutes, et dont la face ronde était barbouillée d’une sorte de croix noire, au goudron.

— Savez-vous ben ce qu’il y a dans cette pipe ? nous demanda-t-il.

— Du cidre, répondit quelqu’un.

Le bonhomme haussa les épaules.

— Du cidre !… Ben sûr que c’est du cidre !… Mais savez-vous ben ce qu’il y a dans le cidre ?…

— Des pommes ! criâmes-nous en chœur.

— Des pommes, ben sûr que c’est des pommes… Vous êtes ben malins à nuit, mes beaux messieurs…

— Allons, maît’ Lormeau, ne vous fâchez pas… et dites-nous bien vite ce qu’il y a dans votre cidre ?

Le vieux fermier nous examinait d’un regard oblique et méfiant.