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expression d’agonie tordait ses yeux ; toute sa chair humide de sueur et de sang palpitait, horriblement remuée ; et je vis les muscles se fondre sous la peau dans le creux des os décharnés, les côtes saillir et cercler le thorax, les cheveux se coller au crâne qui verdissait.

— Nout’ maît’e ! nout’ maît’e ! suppliait Rosalie folle d’épouvante.

Cela dura douze heures. Je ne perdis aucun des mouvements, aucune des grimaces, aucun des frissons de cette chair suppliciée. Et quand je fus certain que l’image ne s’en irait plus, comme le colporteur n’était pas mort, je l’assommai d’un coup de candélabre sur la tête.

Il y eut un silence douloureux. Toutes les poitrines étaient oppressées. Personne n’osait regarder Hurtaud. Celui-ci, calme, se leva, chassa d’une chiquenaude une petite parcelle de cendre de cigare tombée sur son pantalon, et prenant son chapeau :

— Eh bien, messieurs, depuis ce jour j’aime Rosalie, et je lui fais horreur… Mais je l’aime ainsi… Et Rosalie me dit : « Ah ! nout’ maît’e ! Quand vous m’embrassez, il me semble toujours que vous avez dans la bouche comme un petit goût de sang ». Que voulez-vous ?… De la bêtise et de la folie, beaucoup de boue et beaucoup de sang, c’est ça l’amour !… Serviteur !…