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rire qui dura longtemps, et quand le rire s’éteignit, elle me dit :

— Ah ! mon pauvre ami !… Si vous aviez pu vous voir dans une glace !… Que vous étiez comique !… Que vous étiez laid !…

J’ai renoncé à faire vibrer ce corps inerte, dont aucune chaleur, jamais, ne réchauffera l’insensibilité de marbre. La vue de sa beauté m’est odieuse, aujourd’hui. Elle me répugne et me fait peur comme une monstruosité.

Quelquefois, étonnée de la réserve que je garde maintenant vis-à-vis d’elle, elle vient s’offrir. Mais elle est sans passion ; le plaisir n’obscurcit pas une seule minute, de son voile humide, ses yeux calculateurs qui semblent me dire :

— Si je fais cela, c’est pour que tu n’ailles pas chercher ailleurs un plaisir que tu paierais peut-être…

Elle sauvegarde la caisse, voilà tout !

Une fois, comme je la repoussais, elle a voulu, telle une prostituée, me retenir par des caresses anormales, que je lui avais apprises, et j’ai supporté le supplice de les subir vainement, pour me payer la joie affreuse, l’immense et affreuse joie, de la mépriser, de la haïr…