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moi, jusqu’à un endroit de silence où je n’entendrais plus cette voix colère, cette voix dure, cette voix implacable, si détestée des pauvres, des pauvres bêtes, des pauvres choses. Je ne me souviens plus.

Je me sentais infiniment triste, plus triste encore que ce ciel, que cette terre, dont je résumais, dont je décuplais en moi, à cette heure angoissante de la fin du jour, l’immense tristesse et l’immense découragement. Et je songeais que pas une fleur, non plus, n’était demeurée dans les jardins de mon âme, et que, tous les jours, à toutes les minutes, à chaque pulsation de mes veines, à chaque battement de mon cœur, il se détachait, il tombait quelque chose de moi, de mes pensées, de mes amours, de mes espoirs, quelque chose de mort à jamais et qui jamais plus ne renaîtrait… Je suivais une à une toutes ces petites chutes, toutes ces petites fuites, toutes ces petites enallées de la vie dans le néant, et il me semblait que j’en éprouvais, dans mon être intérieur tout entier, la commotion physique, douloureuse, répercutée, comme un mystérieux écho, de la fibre de l’arbre, aux nerfs de ma chair.

On sonna à la grille. Comme je n’étais pas loin, j’allai ouvrir. Et je me trouvai en présence d’un très vieux homme qui portait, sur