Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui connaissais pas, et qui donnèrent à son visage une expression de dureté imprévue…

Je répondis, troublé :

— Mais, chère petite femme, parce que nous avons, ne vous semble-t-il pas, bien des choses à nous dire… maintenant que nous sommes seuls, tout à fait !…

— Eh bien ! mon ami, je ne vous empêche pas de les dire…

J’éprouvai un froid au cœur, un froid douloureux. Ce livre m’était, réellement, comme une personne qui se fût maladroitement interposée entre ma femme et moi. Et cette voix qui me parlait, une voix brève et coupante, je l’entendais pour la première fois. Et elle me rendait, pour ainsi dire, cruellement étrangers ce visage charmant, cette bouche, ces yeux, ces cheveux, toute cette fraîcheur de jeunesse, toute cette beauté d’amour, autour de quoi mes rêves avaient si follement, si gravement, si infiniment vagabondé. Je demandai, en tremblant, car j’avais alors la sensation de je ne sais quoi de lointain, entre ma femme et moi :

— Et quel est donc, cher petit cœur, ce livre que vous lisez avec tant d’attention ?…

— Le dernier roman de M. de Tinseau ! fit-elle.

— Oh !

— Comme vous avez dit : « Oh ! » Il ne vous plaît pas, M. de Tinseau ?