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fonds de paysage symbolique ou de colonnades sardanapalesques, les vertus héroïques ou les sanglantes luxures, n’ont été, le plus souvent, que des êtres chétifs et répugnants, Béatrix d’hôpital et Elvires de trottoir ; ou bien de patientes cuisinières, de roublardes maritornes, qui ont conquis l’âme du chantre éthéré, par la sauce.

Il ne m’arriva rien de tel et je ne cherchai, dans cet amour, rien que le plaisir physique, violent et nouveau qu’il me procurait.

À défaut de ce mensonge fastueux où ma vanité aurait pu se complaire à dresser, idole de mystère, de débauche ou de sacrifice, l’image surhumanisée de Mariette, j’aurais pu, du moins, me servir de cette créature de Dieu pour y répandre mes effusions, mes inquiétudes et toutes les ardeurs intellectuelles que le silence, depuis si longtemps, depuis l’éveil de ma conscience, avait accumulées en moi. J’aurais pu me payer cette illusion ennoblissante de faire de cette petite souillon la confidente et la conseillère de mon âme. Jamais je n’avais parlé à personne, jamais personne n’avait été quelque chose pour moi. Mon père, ma mère, mes sœurs, c’étaient moins que des passants, moins que les arbres et moins que les cailloux, lesquels ne protestent pas quand on se confie à eux, et qui recueillent, sans rire, les larmes de ceux