Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devaient s’effacer – ah ! si douloureusement ! – devant la réalité.

Le pays manquait de jolies filles et de femmes convenables à l’expérience que je voulais tenter. Elles étaient toutes vulgaires ou repoussantes, ou si grossières de paroles et de gestes qu’il me suffisait de leur parler pour les fuir. Pourtant, bien des fois, à la nuit tombante, je rôdai autour de la demeure d’une ignoble créature, presque toujours ivre, et qui, pour quelques verres d’eau-de-vie et pour deux sous, se livrait aux terrassiers.

Une seule me plut. Brune de cheveux et de peau bronzée, les reins souples et les yeux ardents, elle exhalait, comme une fleur sauvage, l’odeur d’une forte et puissante jeunesse. Chose rare chez nous, elle avait des dents très blanches, et une bouche très rouge, gonflée d’une pulpe humide et généreuse. Tous les jours, vers midi, un paquet de linge en équilibre sur sa tête, elle allait au lavoir. Le col nu, les manches retroussées jusqu’au coude, la mince étoffe de sa jupe bien collée sur ses cuisses, et toute sa chevelure sombre et mate parsemée d’écume savoureuse, elle travaillait comme un homme et chantait comme un oiseau. Tous les jours, moi aussi, je me rendais au lavoir, aux heures où j’étais sûr de la rencontrer. Mais comme elle n’était jamais seule,