Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.

çant de la caricature. J’ai conservé longtemps une photographie faite, un jour de prodigalité, par un artiste forain, de passage chez nous. Elle me représentait à l’âge dont je parle, et sous ce déguisement, que je considère presque comme un crime de lèse-enfance. En dépit de toutes les mélancolies, en dépit de tous les souvenirs de haine que cette ancienne image remuait en moi, il m’arrivait souvent de la regarder et il ne m’était point difficile d’y reconnaître, sous l’accoutrement baroque, certaines beautés qui avaient le don de m’émouvoir jusqu’aux larmes.

Jusqu’au jour où, dans la salle de verdure, ma pauvre et douloureuse cousine avait tenté sur ma personne ce demi-viol que j’ai raconté, j’étais demeuré parfaitement chaste. La puberté s’établissait en moi, lente et calme, sans violences, sans secousses, sans troubles d’aucune sorte. À ce phénomène physiologique correspondait une plus grande expansion de tout mon être dans la nature, voilà tout. J’aimais davantage, j’aimais d’un inexprimable amour, les fleurs, les arbres, les nuages, les étoiles du firmament nocturne ; j’aurais voulu épouser toutes les formes ambiantes, me fondre dans toutes les musiques. C’étaient, on le voit, des sensations très vagues, dans lesquelles aucun désir ne se précisait. Mais de ce jour où, si brutalement et si incomplètement, je dois le