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Ma sœur se maria, sans châle de l’Inde ; puis elle partit. Mon autre sœur se maria également, sans châle de l’Inde, puis elle partit… Et je n’entendis plus le glapissement de mes sœurs.

Un silence envahit la maison. Mon père devint très triste. Ma mère pleura, ne sachant plus que faire de ses longues journées. Et les serins de mes sœurs, dans leur cage abandonnée, périrent, l’un après l’autre.

Moi, je copiais des rôles chez le notaire, et je regardais, d’un œil amusé, le défilé, en blouses bleues et en sabots, de toutes les passions, de tous les crimes, de tous les meurtres que souffle à l’âme des hommes l’âme homicide de la Terre.

III

Je suis né avec le don fatal de sentir vivement, de sentir jusqu’à la douleur, jusqu’au ridicule. Dès ma toute petite enfance je donnais, au moindre objet, à la moindre chose inerte, des formes supravivantes, en mouvement et en pensée. J’accumulais sur mon père, ma mère, mes sœurs, des observations irrespectueuses et désolantes, qui n’étaient pas de mon âge. D’autres eussent tiré parti, plus tard, de ces qualités exceptionnelles ; moi, je ne fis qu’en