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elle intriguait les gens par ses habitudes, qui n’étaient pas celles de tout le monde. Elle apportait, dans cette petite ville extrêmement bourgeoise, un parfum exquis de liberté, un individualisme original et charmant, un souci de vivre pour elle et non pour les autres, bien faits pour troubler les habitants, encroûtés dans la crasse des préjugés anciens et des traditions périmées… Et puis, n’était-elle pas mariée à un Juif ?

Elle entra dans la boutique, déjà pleine de monde. Cette boutique, fort renommée, où le marchand accumulait les imaginations les plus bizarres, scènes en sucre, anecdotes sentimentales en bonbons, terribles histoires militaires en fruits confits, était le point de mire de toutes les curiosités en balade… On venait là comme à une représentation de théâtre, comme à un panorama. Des foules, constamment y stationnaient devant cet étalage, s’y succédaient, tout le jour, encombrant cette partie du trottoir, et, malgré les efforts d’un homme de police pour le dégager, rendant la circulation difficile. Tout à coup, profitant de l’inattention générale et ayant aperçu sur les coussins de la voiture, probablement oublié par la dame, un joli petit sac de velours à monture d’or, un être lamentable, une sorte de mendiant décharné, la peau toute jaune, couvert de gue-