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— Quelques rentes !… Quelques rentes !… Ah ben, merci !… T’as perdu la tête, pour sûr ?… S’il fallait toucher à nos rentes, ousque j’irions, veux-tu me le dire ?… Et le fils, pour qui nous les avons gagnées, qu’est-ce qu’il dirait ?… Non, non… Travaille et t’auras du pain… Ne travaille pas et t’auras rien !… C’est juste… c’est comme ça que ça doit être !…

— C’est bon !… fit le père François.

Et il se tut, l’œil avidement fixé sur la table vide, et qui désormais serait toujours vide pour lui… Il trouvait cela dur, mais au fond il trouvait cela juste, car son âme de primitif n’avait jamais pu s’élever des ténèbres farouches de la Nature jusqu’au lumineux concert de l’Égoïsme humain et de l’Amour.

Il se redressa péniblement, en poussant de petits cris de douleur : « Oh ! mes reins ! oh ! mes reins ! » Il gagna la chambre, à côté, dont la porte s’ouvrait, toute noire devant lui, comme une tombe.

Ce terrible moment devait arriver, pour lui, comme il était arrivé jadis, pour son père, pour sa mère, auxquels, bras impotents et bouches inutiles, il avait, lui aussi, avec une implacable rigueur, refusé le pain des derniers