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ami, seront obéies fidèlement, avec piété, quelles qu’elles soient ! Je vous le jure !

M. Rouvin, d’un regard vague, désigna un secrétaire, placé contre le mur, entre les deux fenêtres… Ses lèvres remuèrent si faiblement que le prêtre devina, plutôt qu’il ne les entendit, ces mots légers comme un souffle très lointain :

— Demain !… là… pour vous… une lettre… Merci !

— Bien, fit gravement le curé…

Et, comme on prononce un serment, il répéta :

— Quelles qu’elles soient !…

Le curé s’assit sur un fauteuil, près du chevet, la main glacée de l’agonisant dans la sienne, et il resta là, longtemps, sans dire une parole, immobile et désolé. Il pensait à l’exceptionnelle et presque miraculeuse beauté qu’avait été l’existence de M. Rouvin, à sa charité inventive qui sauva de la faim tant de malheureux et leur fit connaître la joie de vivre, la douceur d’être bon. Il pensait surtout à cette faculté, pour ainsi dire évangélique, qu’il avait de ramener au bien les âmes dévoyées et les pauvres cœurs pervertis sans jamais leur parler de Dieu, auquel il ne croyait pas, sans jamais recourir aux consolations religieuses, qu’il jugeait dangereuses, immorales et vaines. Ses