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La Guerre

Je mens ?… Mais regarde autour de toi ; écoute autour de toi. Vois-tu tous ces hommes courbés qui peinent, s’essoufflent, et meurent écrasés par les besognes toujours pareilles ? Pour qui donc ces mines atroces, ces forges hurlantes, ces infernales usines, ces fontes bouillantes, si ce n’est pour mes canons, mes fusils, et mes obus ? Pourquoi ces navires qui désolent la solitude des mers ? Ces prairies mes chevaux s’engraissent, ces arbres avec lesquels on taillera les affûts de mes batteries et les brancards de mes ambulances ? Pourquoi donne-t-on de l’or aux ministres, des galons aux généraux ? Pourquoi te saoule-t-on avec les mots de patrie et d’honneur ? Pourquoi arrache-t-on au foyer les bras jeunes et les cœurs vigoureux ? Vois ces vieux savants, penchés sur des chiffres, sur des plans, sur des poudres blanches, sur d’incolores liquides, pour qui distillent-ils la mort ? On ne dresse plus de temple qu’à Dieu : compte donc les forts, les bastions, les casernes, les arsenaux, tous ces chantiers effroyables où l’on façonne le meurtre, comme des bibelots, où l’on chantourne la destruction, comme des meubles de prix. C’est vers moi que tendent tous les efforts humains ;