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c’est un abus de pouvoir… Vous devez comprendre, monsieur le préfet, combien c’est gênant pour moi… Je ne sais plus qui je suis… Je suis non seulement pour les autres, mais pour moi-même, un étranger !… De fait, je n’existe plus !… Quelle inconcevable situation !… Et quel préjudice cela me cause !… Figurez-vous que, depuis quelque temps, on veut écrire ma biographie !… Mais comment faire ?… la biographie de qui ?… de qui ?… de qui ?… Je n’ai plus de nom… Je suis célèbre, très célèbre… et je n’ai plus de nom !… Vous me connaissez certainement, monsieur le préfet ; tout le monde me connaît d’ailleurs, en Europe… Mais à quoi cela me sert-il, cette célébrité ?… puisqu’elle est anonyme… Enfin, il doit y avoir un moyen de me faire rendre mon nom ?

Le visiteur

Certainement, certainement ! J’y penserai…

Le fou

Merci, monsieur le préfet… Et puisque vous êtes assez bon pour vous intéresser à moi, puis-je vous demander autre chose ? Car enfin, il m’est arrivé des choses vraiment extraordinaires, et auxquelles je ne croirais pas, moi-même, si je n’en étais la victime…

Le visiteur

Parlez, mon ami…

Le fou

J’étais confiseur à Versailles… et j’avais un ami qui s’appelait Caramel. Je le voyais tous les jours. Caramel abusa de