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séjour peut demeurer exposé aux confins les plus reculés du royaume de ce Monarque, et abandonné à la défense de ceux qui l’habitent : là peut-être pourrons-nous achever quelque aventure profitable, par une attaque soudaine ; soit qu’avec le feu de l’enfer nous dévastions toute sa création entière, soit que nous nous en emparions comme de notre propre bien, et que nous en chassions (ainsi que nous avons été chassés) les faibles possesseurs. Ou si nous ne les chassons pas, nous pourrons les attirer à notre parti, de manière que leur Dieu deviendra leur ennemi, et d’une main repentante détruira son propre ouvrage. Ceci surpasserait une vengeance ordinaire et interromprait la joie que le vainqueur éprouve de notre confusion : notre joie naîtrait de son trouble, alors que ses enfants chéris, précipités pour souffrir avec nous, maudiraient leur frêle naissance, leur bonheur flétri, flétri si tôt. Avisez si cela vaut la peine d’être tenté, ou si nous devons, accroupis ici dans les ténèbres, couver de chimériques empires. »

Ainsi Belzébuth donna son conseil diabolique, d’abord imaginé et en partie proposé par Satan. Car de qui, si ce n’est de l’auteur de tout mal, pouvait sortir cet avis d’une profonde malice, de frapper la race humaine dans sa racine, de mêler et d’envelopper la terre avec l’enfer, tout cela en dédain du grand Créateur ?

Mais ces mépris des démons ne serviront qu’à augmenter sa gloire.

Le dessein hardi plut hautement à ces états infernaux, et la joie brilla dans tous les yeux ; on vote d’un consentement unanime. Belzébuth reprend la parole :

« Bien avez-vous jugé, bien fini ce long débat, synode des dieux ! Et vous avez résolu une chose grande comme vous l’êtes, une chose qui, du plus profond de l’abîme, nous élèvera encore une fois, en dépit du sort, plus près de notre ancienne demeure. Peut-être à la vue de ces frontières brillantes, avec nos armes voisines et une incursion opportune, avons-nous des chances de rentrer dans le ciel, ou du moins, d’habiter