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soumettre et le supporter, notre suprême ennemi pourra, avec le temps, adoucir beaucoup sa colère ; et peut-être si loin de sa présence, ne l’offensant pas, il ne pensera pas à nous, satisfait de la punition subie. De là ces feux cuisants se ralentiront, si son souffle ne ranime pas leurs flammes. Notre substance, pure alors, surmontera la vapeur insupportable, ou y étant accoutumée ne la sentira plus, ou bien encore altérée à la longue, et devenue conforme aux lieux en tempérament et en nature, elle se familiarisera avec la brûlante ardeur qui sera vide de peine. Cette horreur deviendra douceur, cette obscurité, lumière. Sans parler de l’espérance que le vol sans fin des jours à venir peut nous apporter des chances, des changements valant la peine d’être attendus : puisque notre lot présent peut passer pour heureux, quoiqu’il soit mauvais, de mauvais il ne deviendra pas pire, si nous ne nous attirons pas nous-mêmes plus de malheurs. »

Ainsi Bélial, par des mots revêtus du manteau de la raison, conseillait un ignoble repos, paisible bassesse, non la paix. Après lui, Mammon parla :

« Nous faisons la guerre (si la guerre est le meilleur parti), ou pour détrôner le roi du ciel, ou pour regagner nos droits perdus. Détrôner le roi du ciel, nous pouvons espérer cela, quand le Destin d’éternelle durée cédera à l’inconstant Hasard, et quand le Chaos jugera le différend. Le premier but, vain à espérer, prouve que le second est aussi vain ; car est-il pour nous une place dans l’étendue du ciel, à moins que nous ne subjuguions le Monarque suprême du ciel ? Supposons qu’il s’adoucisse, qu’il fasse grâce à tous, sur la promesse d’une nouvelle soumission, de quel œil pourrions-nous, humiliés, demeurer en sa présence, recevoir l’ordre, strictement imposé de glorifier son trône en murmurant des hymnes, de chanter à sa divinité des alleluia forcés, tandis que lui siégera impérieusement notre souverain envié ; tandis que son autel exhalera des parfums d’ambroisie et des fleurs d’ambroisie, nos serviles offrandes ? Telle sera notre tâche dans le ciel, telles