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mittente réarmait sa droite rougie pour nous tourmenter ? Que serait-ce si tous ses trésors s’ouvraient et si ce firmament de l’enfer versait ses cataractes de feu ; horreurs suspendues menaçant un jour nos têtes de leur effroyable chute ? Tandis que nous projetons ou conseillons une guerre glorieuse, saisis peut-être par une tempête brûlante, nous serons lancés et chacun sur un roc transfixés jouets et proies des tourbillons déchirants, ou plongés à jamais, enveloppés de chaînes, dans ce bouillant océan. Là nous y converserons avec nos soupirs éternels, sans répit, sans miséricorde, sans relâche pendant des siècles, dont la fin ne peut être espérée : notre condition serait pire.

« Ma voix vous dissuadera donc pareillement de la guerre ouverte ou cachée. Car que peut la force ou la ruse contre Dieu, ou qui peut tromper l’esprit de celui dont l’œil voit tout d’un seul regard ? De la hauteur des cieux il s’aperçoit et se rit de nos délibérations vaines, non moins tout-puissant qu’il est à résister à nos forces qu’habile à déjouer nos ruses et nos complots.

« Mais vivrons-nous ainsi avilis ? La race du ciel restera-t-elle ainsi foulée aux pieds, ainsi bannie, condamnée à supporter ici ces chaînes et ces tourments ?… Cela vaut mieux que quelque chose de pire, selon moi, puisque nous sommes subjugués par l’inévitable sort et le décret tout-puissant, la volonté du vainqueur. Pour souffrir, comme pour agir, notre force est pareille ; la loi qui en a ordonné ainsi n’est pas injuste : ceci dès le commencement aurait été compris si nous avions été sages en combattant un si grand ennemi, et quand ce qui pouvait arriver était si douteux.

« Je ris quand ceux qui sont hardis et aventureux à la lance se font petits lorsqu’elle vient à leur manquer ; ils craignent d’endurer ce qu’ils savent pourtant devoir suivre : l’exil, ou l’ignominie, ou les chaînes, ou les châtiments, loi de leur vainqueur.

« Tel est à présent notre sort ; lequel si nous pouvons nous y