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paraîtront plus glorieuses et plus redoutables que s’il n’y avait pas eu de chute, et rassurées par elles-mêmes contre la crainte d’une seconde catastrophe. Un juste droit et les lois fixées du ciel m’ont d’abord créé votre chef, ensuite un choix libre et ce qui, en outre, dans le conseil ou dans le combat, a été acheté de quelque valeur : cependant notre malheur est du moins jusque-là assez bien réparé, puisqu’il m’a établi beaucoup plus en sûreté sur un trône non envié, cédé d’un plein consentement. Dans le ciel, le plus heureux état qu’une dignité accompagne, peut attirer la jalousie de chaque inférieur : mais ici qui envierait celui que la plus haute place expose le plus en avant, comme votre boulevard, aux coups du Foudroyant, et le condamne à la plus forte part des souffrances sans terme ? Là où il n’est aucun bien à disputer, là aucune dispute ne peut naître des factions, car nul sûrement ne réclamera la préséance dans l’enfer ; nul dont la portion du présent malheur est si petite, par un esprit ambitieux n’en convoitera une plus grande. Donc avec cet avantage pour l’union, et cette constante fidélité, et cet accord plus ferme qu’il ne peut l’être dans le ciel, nous venons maintenant réclamer notre juste héritage d’autrefois ; plus assurés de prospérer que si la prospérité nous en assurait elle-même. Et quelle voie est la meilleure, la guerre ouverte, ou la guerre cachée ? C’est ce que nous débattrons à présent. Que celui qui peut donner un avis parle. »

Satan se tut ; et près de lui Moloch, roi portant le sceptre, se leva ; Moloch, le plus fort, le plus furieux des esprits qui combattirent dans le ciel, à présent plus furieux par le désespoir. Sa prétention est d’être réputé égal en force à l’Éternel, et, plutôt que d’être moins, il ne se souciait pas du tout d’exister : délivré de ce soin d’être, il était délivré de toute crainte. De Dieu, ou de l’enfer, ou de pire que l’enfer il ne tenait compte : et d’après cela il prononça ces mots :

« Mon avis est pour la guerre ouverte : aux ruses très inexpert, point ne m’en vante. Que ceux-là qui en ont besoin, tra-