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Satan se prépare à parler ; sur quoi les rangs doublés des bataillons se courbent d’une aile à l’autre aile, et l’entourent à demi de tous ses pairs : l’attention les rend muets. Trois fois il essaye de commencer ; trois fois, en dépit de sa fierté, des larmes telles que les anges en peuvent pleurer, débordent. Enfin des mots entrecoupés de soupirs forcent le passage.

« Ô myriades d’esprits immortels ! ô puissances, qui n’avez de pareils que le Tout-Puissant ! il ne fut pas inglorieux, ce combat, bien que l’événement fût désastreux, comme l’attestent ce séjour et ce terrible changement, odieux à exprimer. Mais quelle faculté d’esprit, prévoyant et présageant d’après la profondeur de la connaissance du passé ou du présent, aurait craint que la force unie de tant de dieux, de dieux tels que ceux-ci, fût jamais repoussée ? Car qui peut croire, même après cette défaite, que toutes ces légions puissantes, dont l’exil a rendu le ciel vide, manqueront à se relever, et à reconquérir leur séjour natal ? Quant à moi, toute l’armée céleste est témoin, si des conseils divers, ou des dangers par moi évités, ont ruiné nos espérances. Mais celui qui règne monarque dans le ciel était jusqu’alors demeuré en sûreté assis sur son trône, maintenu par une ancienne réputation, par le consentement, ou l’usage ; il nous étalait en plein son faste royal, mais il nous cachait sa force, ce qui nous tenta à notre tentative et causa notre chute.

« Dorénavant nous connaissons sa puissance et nous connaissons la nôtre, de manière à ne provoquer ni craindre une nouvelle guerre provoquée. Le meilleur parti qui nous reste est de travailler dans un secret dessein, à obtenir de la ruse et de l’artifice ce que la force n’a pas effectué, afin qu’à la longue il apprenne du moins ceci de nous : Celui qui a vaincu par la force, n’a vaincu qu’à moitié son ennemi.

« L’espace peut produire de nouveaux mondes : à ce sujet un bruit courait dans le ciel qu’avant peu le Tout-Puissant avait l’intention de créer et de placer dans cette création une race, que les regards de sa préférence favoriseraient à l’égal