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gesse. N’espère rien de plus haut quand même tu connaîtrais toutes les étoiles par leur nom, et tous les pouvoirs éthérés, tous les secrets de l’abîme, tous les ouvrages de la nature, ou toutes les œuvres de Dieu dans le ciel, l’air, la terre ou la mer ; quand tu jouirais de toutes les richesses de ce monde, et le gouvernerais comme un seul empire. Ajoute seulement à tes connaissances des actions qui y répondent ; ajoute la vertu, la patience, la tempérance ; ajoute l’amour, dans l’avenir nommé charité, âme de tout le reste. Alors tu regretteras moins de quitter ce paradis, puisque tu posséderas en toi-même un paradis bien plus heureux.

« Descendons maintenant de cette cime de spéculation ; car l’heure précise exige notre départ d’ici. Regarde ! ces gardes que j’ai campés sur cette colline attendent l’ordre de se mettre en marche : à leur front, une épée flamboyante, en signal du bannissement, ondoie avec violence. Nous ne pouvons rester plus longtemps. Va éveille Ève : elle aussi je l’ai calmée par de doux rêves, présages du bien, et j’ai disposé tous ses esprits à une humble soumission. Dans un moment convenable tu lui feras part de ce que tu as entendu, surtout de ce qu’il importe à sa foi de connaître, la grande délivrance du genre humain, qui doit venir de sa race, de la race de la femme. Puissiez-vous vivre (vos jours seront nombreux) dans une foi unanime, quoique tristes, à cause des maux passés, cependant encore beaucoup plus consolés par la méditation d’une heureuse fin. »

Il finit, et tous deux descendent la colline. Arrivés au bas, Adam courut en avant au berceau où Ève s’était endormie ; mais il la trouva éveillée ; elle le reçut ainsi avec ces paroles qui n’étaient plus tristes :

« D’où tu reviens et où tu étais allé, je le sais, car Dieu est aussi dans le sommeil et instruit les songes : il me les a envoyés propices, présageant un grand bien, depuis que fatiguée de chagrin et de détresse de cœur, je tombai endormie ; mais à présent, guide-moi : en moi, plus de retardement : aller avec toi, c’est rester ici ; rester sans toi ici, c’est sortir d’ici