Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les amorces, les coutumes et un monde irrité. Sans craindre le reproche et le mépris ou la violence, il avertira les hommes de leurs iniques voies ; il tracera devant eux les sentiers de la droiture beaucoup plus sûrs et pleins de paix, leur annonçant la colère prête à visiter leur impénitence ; et il se retirera d’entre eux insulté, mais aux regards de Dieu le seul homme juste vivant.

« Par son ordre il bâtira une arche merveilleuse (comme tu l’as vu) pour se sauver lui et sa famille du milieu d’un monde dévoué à un naufrage universel. Il ne sera pas plutôt logé dans l’arche et à couvert avec les hommes et les animaux choisis pour la vie, que toutes les cataractes du ciel s’ouvrant verseront la pluie jour et nuit sur la terre, tous les réservoirs de l’abîme crèveront et enfleront l’Océan qui usurpera tous les rivages, jusqu’à ce que l’inondation s’élève au-dessus des plus hautes montagnes.

« Alors ce mont du paradis sera emporté par la puissance des vagues ; hors de sa place, poussé par le débordement cornu, dépouillé de toute sa verdure, et ses arbres en dérive, il descendra vers le grand fleuve jusqu’à l’ouverture du golfe, et là il prendra racine ; île salée et nue, hantise des phoques, des orques et des mouettes au cri perçant. Ceci doit t’apprendre que Dieu n’attache la sainteté à aucun lieu, si elle n’y est apportée par les hommes qui le fréquentent ou l’habitent. Et regarde maintenant ce qui doit s’en suivre. »

Adam regarda, et il vit l’arche flotter sur l’amas des eaux qui maintenant s’abaissait, car les nuages avaient fui, chassés par un vent aigu du nord qui, soufflant sec, ridait la face du déluge à mesure qu’il se desséchait. Le soleil clair sur son miroir liquide, dardait ses chauds regards et buvait largement la fraîche vague, comme ayant soif : ce qui fit que d’un lac immobile, les eaux, en rétrécissant leur inondation, devinrent un ebbe agile qui se déroba d’un pas léger vers l’abîme, lequel avait maintenant baissé ses écluses, comme le ciel fermé ses cataractes.

L’arche ne flotte plus ; mais elle paraît atterrie et fixée forte-