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incommode fardeau qu’il me faudra porter jusqu’au jour marqué pour le rendre, et attendre avec patience ma dissolution ! »

Michel répliqua :

« N’aime ni ne hais ta vie : mais ce que tu vivras, vis-le bien. Ta vie sera-t-elle longue ou courte ? laisse faire au ciel ! Prépare-toi maintenant à un autre spectacle. »

Adam regarda, et il vit une plaine spacieuse, couverte de tentes de différentes couleurs ; près de quelques-unes paissaient des troupeaux de bétail. De plusieurs autres on entendait s’élever le son d’instruments qui produisaient les mélodieux accords de la harpe et de l’orgue : on voyait celui qui faisait mouvoir les touches et les cordes ; sa main légère par toutes les proportions, volait inspirée en bas et en haut, et poursuivait en travers la fugue sonore.

Dans un autre endroit se tenait un homme qui, travaillant à la forge, avait fondu deux massifs blocs de fer et de cuivre ; (soit qu’il les eût trouvés là où un incendie fortuit avait consumé les bois sur une montagne ou dans une vallée, embrasement descendu dans les veines de la terre, et de là faisant couler la matière brûlante par la bouche de quelque cavité ; soit qu’un torrent eût dégagé ces masses de dessous la terre) : l’homme versa le minéral liquide dans des moules exprès préparés : il en forma d’abord ses propres outils, ensuite ce qui pouvait être façonné par la fonte ou gravé en métal.

Après ces personnages, mais du côté le plus rapproché d’eux, des hommes d’une espèce différente, du sommet des montagnes voisines, leur séjour ordinaire, descendirent dans la plaine : par leurs manières ils semblaient des hommes justes, et toute leur étude les portait à adorer Dieu en vérité, à connaître ses ouvrages non cachés, et ces choses qui peuvent maintenir la liberté et la paix parmi les hommes.

Ils n’eurent pas longtemps marché dans la plaine, quand voici venir des tentes une volée de belles femmes, richement parées de pierreries et de voluptueux atours : elles chantaient sur la