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à présent dans une égale ruine, tu vois de quelle hauteur, dans quel abîme nous sommes tombés ! tant Il se montra le plus puissant avec son tonnerre ! Mais qui jusqu’alors avait connu l’effet de ses armes terribles ! Toutefois, malgré ces foudres, malgré tout ce que le vainqueur dans sa rage peut encore m’infliger, je ne me repens point, je ne me change point : rien (quoique changé dans mon éclat extérieur) ne changera cet esprit fixe, ce haut dédain né de la conscience du mérite offensé, cet esprit qui me porta à m’élever contre le plus Puissant, entraînant dans ce conflit furieux la force innombrable d’esprits armés qui osèrent mépriser sa domination : ils me préférèrent à lui, opposant à son pouvoir suprême un pouvoir contraire ; et dans une bataille indécise au milieu des plaines du ciel, ils ébranlèrent son trône.

« Qu’importe la perte du champ de bataille ! tout n’est pas perdu. Une volonté insurmontable, l’étude de la vengeance, une haine immortelle, un courage qui ne cédera ni ne se soumettra jamais, qu’est-ce autre chose que n’être pas subjugué ? Cette gloire, jamais sa colère ou sa puissance ne me l’extorquera. Je ne me courberai point ; je ne demanderai point grâce d’un genou suppliant ; je ne déifierai point son pouvoir qui, par la terreur de ce bras, a si récemment douté de son empire. Cela serait bas en effet : cela serait une honte et une ignominie au-dessous même de notre chute ! puisque par le destin la force des dieux, la substance céleste ne peut périr ; puisque l’expérience de ce grand événement, dans les armes non affaiblies, ayant gagné beaucoup en prévoyance, nous pouvons, avec plus d’espoir de succès, nous déterminer à faire, par ruse ou par force, une guerre éternelle, irréconciliable, à notre grand ennemi, qui triomphe maintenant, et qui, dans l’excès de sa joie, régnant seul, tient la tyrannie du ciel. »

Ainsi partait l’ange apostat, quoique dans la douleur ; se vantant à haute voix, mais déchiré d’un profond désespoir. Et à lui répliqua bientôt son fier compagnon :

« Ô prince ! ô chef de tant de trônes ! qui conduisis à la guerre