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agréable ; l’autre offrande ne fut pas consumée, car elle n’était pas sincère : de quoi le laboureur sentit une rage intérieure ; et comme il causait avec le berger, il le frappa au milieu de la poitrine d’une pierre qui lui fit rendre la vie : il tomba et mortellement pâle, exhala son âme gémissante avec un torrent de sang répandu.

À ce spectacle, Adam fut épouvanté dans son cœur, et en hâte cria à l’ange :

« Oh ! maître, quelque grand malheur est arrivé à ce doux homme qui avait bien sacrifié ! Est-ce ainsi que la piété et une dévotion pure sont récompensées ? »

Michel, ému aussi, répliqua :

« Ces deux-ci sont frères, Adam, et ils sortiront de tes reins : l’injuste a tué le juste par envie de ce que le ciel avait accepté l’offrande de son frère. Mais l’action sanguinaire sera vengée ; et la foi du juste approuvée ne perdra pas sa récompense, bien que tu le voies ici mourir, se roulant dans la poussière et le sang caillé. »

Notre premier père :

« Hélas ! pour quelle action ! et par quelle cause ! mais ai-je vu maintenant la mort ? Est-ce par ce chemin que je dois retourner à ma poussière natale ? Ô spectacle de terreur ! mort difforme et affreuse à voir ! horrible à penser ! combien horrible à souffrir ! »

Michel :

« Tu as vu la mort sous la première forme dans laquelle elle s’est montrée à l’homme ; mais variées sont les formes de la mort, nombreux les chemins qui conduisent à sa caverne effrayante ; tous sont funestes. Cependant cette caverne est plus terrible pour les sens à l’entrée, qu’elle ne l’est au-dedans. Quelques-uns, comme tu l’as vu, mourront d’un coup violent ; quelques autres par le feu, l’eau, la famine ; un bien plus grand nombre par l’intempérance du boire et du manger, qui produira sur la terre de cruelles maladies dont une troupe monstrueuse va paraître devant toi, afin que tu puisses con-