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les décrets du Très-Haut, je me hâterais de me rendre, avant toi, à cette place de notre jugement, je me ferais entendre avec plus de force afin que ma tête fût seule visitée de Dieu, qu’il pardonnât ta fragilité, ton sexe plus infirme à moi confié, par moi exposé.

« Mais lève-toi ; ne disputons plus, ne nous blâmons plus mutuellement, nous assez blâmés ailleurs ! Efforçons-nous par les soins de l’amour d’alléger l’un pour l’autre, en le partageant, le poids du malheur, puisque ce jour de la mort dénoncée (comme je l’entrevois), n’arrivera pas soudain ; mais il viendra comme un mal au pas tardif, comme un jour qui meurt longuement, afin d’augmenter notre misère ; misère transmise à notre race : ô race infortunée ! »

Ève, reprenant cœur, répliqua :

« Adam, je sais, par une triste expérience le peu de poids que peuvent avoir auprès de toi mes paroles trouvées si pleines d’erreur, et de là, par un juste événement, trouvées si fatales ; néanmoins, tout indigne que je suis, puisque tu m’accueilles de nouveau et me rends ma place, pleine d’espoir de regagner ton amour (seul contentement de mon cœur, soit que je meure ou que je vive), je ne te cacherai pas les pensées qui se sont élevées dans mon sein inquiet : elles tendent à soulager nos maux ou à les finir : quoiqu’elles soient poignantes et tristes, toutefois elles sont tolérables, comparées à nos souffrances, et d’un choix plus aisé.

« Si l’inquiétude touchant notre postérité est ce qui nous tourmente le plus ; si cette postérité doit être née pour un malheur certain, et finalement dévorée par la mort ; il serait misérable d’être la cause de la misère des autres, de nos propres fils ; misérable de faire descendre de nos reins dans ce monde maudit une race infortunée, laquelle, après une déplorable vie, doit être la pâture d’un monstre si impur : il est en ton pouvoir, du moins avant la conception, de supprimer la race non bénie n’étant pas encore engendrée. Sans enfants tu es, sans enfants tu demeures : ainsi la Mort sera déçue dans son